Interview de Philippe Colomban
par Bernadette Bensaude-Vincent, Paris, le 18 février 2003
( French
only)
Brief introduction to Philippe
Colomban.
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Bernadette Bensaude-Vincent
(BBV): D'abord je voudrais vous remercier d'avoir spontanément
proposé de contribuer à notre site sur l'histoire des matériaux.
Ce genre de feed-back est très enrichissant. Afin de préciser
votre point-de-vue, pourriez vous rappeler un peu votre parcours de chercheur
?
Philippe Colomban (PhC) : Enfant, je rêvais d'être géologue
mais comme l'Ecole de Nancy offrait peu de débouchés dans
les années 1970, j'ai opté pour l'Ecole de Céramique.
La céramique est assez proche de la géologie, en effet,
dans la mesure où elle traite de roches synthétiques et
d'exploitation des carrières. A l'Ecole de céramique (à
Sèvres) j'ai eu comme enseignant Jean-Pierre Boilot alors jeune
assistant et Mme A.M. Antony qui travaillait sur la zircone en tant que
céramique. Elle connaissait bien Collongues qui, lui, travaillait
à l'origine sur les oxydes fer et s'était attaqué
aux cristaux de zircone.
BBV : A chacun son territoire, en quelque sorte ?
PhC : Tout à fait. C'est une caractéristique de la chimie
française dans les années 1950-70. Les universitaires se
répartissent les domaines d'après les chapitres du PASCAL
(l'encyclopédie en français de Chimie Inorganique, le pendant
du GMELIN allemand) : les oxydes de fer chez Chaudron puis chez ses élèves
à Vitry, les nitrures à Limoges, la zircone à Orléans,
les verres et métaux de transition pour Hagenmuller à Nantes
(je crois puis Bordeaux, il faudrait interroger Paul Hagenmuller). Chaque
élément est pris par les maîtres d'un lieu et ses
" descendants ".
BBV : Comment êtes vous arrivé au laboratoire de Collongues
?
PhC : C'est Mme A.M. Antony qui m'a envoyé chez Collongues. Il
m'a confié la conduction protonique. Le choix du sujet répondait
à une incitation industrielle. Il faut dire que le laboratoire
Collongues avait de gros moyens pour la synthèse de cristaux. Collongues
était très ouvert, très souple et savait établir
des relations de confiance avec les industriels. Ce n'étaient pas
toujours des liens formalisés, par écrit, plutôt des
accords qui formaient un réseau de contre-parties. Ce genre de
liens est possible à Paris car on circule d'un lieu à l'autre,
on a une oreille partout. Alors que les laboratoires de provinces, comme
celui de Hagenmuller, ont développé des liens beaucoup plus
formels, avec des rivalités plus marquées entre des centres
de recherche qui veulent avoir le monopole d'un sujet. A cet égard,
Livage est plutôt du style Hagenmuller, à défendre
son pied carré. Collongues ne faisait jamais de rétention
d'information, il était vraiment un meneur d'équipe.
Pour revenir à la conduction protonique Collongues avait reçu
de l'argent de l'Air Liquide à la suite de la parution d'un article
par Richard Brook alors à Leeds (qui par la suite est allé
dirigé le département céramique du Max Planck Institut
avant de devenir directeur du département céramiques à
Oxford et de l'EPSRC, l'équivalent anlais du CNRS) et J S Lundsgaard,
un danois qui a fait son PhD chez Brook avant de travailler à Odensee
puis de monter une petite société (J.S. Lundsgaard, R. Brook,
J. Materials Science 9 (1976) 1061)
BBV : Quel était l'intérêt industriel de la conduction
protonique en 1975?
PhC : Elle était alors envisagée comme une alternative énergétique.
On était après le premier choc pétrolier et les énergies
propres étaient désirées. C'est l'époque de
la mise au point du Nafion© par Dupont pour les piles à combustibles
du programme Gemini et l'on voulait des matériaux susceptibles
de fonctionner à plus haute température pour éviter
les catalyseurs de platine. Pour l'Air Liquide l'intérêt
était de pouvoir réaliser des capteurs de teneur en hydrogène
stables, rapides pouvant fonctionner à une certaine température.
Avec la Thonson-CSF (G. Velasco et M. Croset) je developpais plus tard
de tels capeurs " microioniques ". Ce fut les premières
réalisations d'un équivalent ionique de la microélectronique
(La Recherche, 148 octobre 1983, 1292-1296). En Europe nous étions
deux à travailler sur la conduction protonique, moi (!) et le laboratoire
d'Odensee au Danemark dirigé par Johs Jensen, le " patron
" de J.S. Lundsgaard. Avec Jensen j'organisais en 1981 un colloque
à l'Ecole Polytechnique où je venais d'arriver pour monter
une équipe de Chimie du solide formellement avec J.P. Boilot, mais
qui était encore pour quelques années surtout à Limoges
où il avait été nommé professeur dans la fournée
du déménagement de l'Ecole de Céramique. Ce colloque
était financé par une fondation danoise et l'Ambassade de
France. Il fut le premier d'une série qui après internationalisation
continue encore. Johs Jensen fut vraiment la cheville ouvrière
du développement des travaux sur les piles à combustibles
" propres " en Europe.
BBV : En quoi consistait essentiellement votre travail dans le laboratoire
Collongues ?
PhC : J'y faisais essentiellement de la synthèse et de la diffraction
des RX, les analyses de diffusion diffuse de RX étaient faites
à Orsay avec G . Collin et J.P. Boilot, les études Raman
et IR à Thiais avec G. Lucazeau et la diffusion de neutron à
l'Institut Laüe-Langevin qui venait d'ouvrir avec A. Dianoux. Faire
des cristaux de zircone, c'est simple. Pou fondre l'oxyde de zirconium
à 2600°C, on couple avec des copeaux de zirconium la poudre
: on met l'ensemble dans un creuset, lui-même dans un suceptor qui
fournit le champ électromagnétique (MHz). Les copeaux de
zirconium sont portés à haute température et ils
s'oxydent avec l'air et donne une bulle de liquide qui fait fondre la
poudre qui se trouve autour. Pour faire des cristaux d'alumine-bêta
c'est plus compliqué car l'aluminium est trop exothermique. On
est obligé de chauffer avec un morceau de graphite mais le graphite
se met en position de couplage minimum sous l'effet du champ électromagnétique,
et il ne chauffe pas. Aussi faut-il le maintenir avec une baguette d'alumine,
avec le nez à 15 cm au dessus de quelque chose qui est à
2000°C. Une fois sur deux cela explose. On portait des grands masques
comme les sidérurgistes qui ouvraient les poches d'acier (Je pense
que c'est un apport de Collongues qui connaissait bien le milieu en tant
que responsable de la Société des Hautes Températures
et Réfractaires). On arrivait à fondre pendant une heure,
à stabiliser et faire croître des cristaux. Cela c'est la
technique " traditionnelle " française pour faire l'alumine-bêta,
celle qui a été mise au point par Y Lecars. Les américains
d'Oak Ridge, de Ford disposaient de gros creusets en iridium ce qui permettait
un travail plus facile.
Par rapport à Y Lecars et le thésard suivant Jacques Antoine
ce que j'ai apporté c'est le flux à haute-température.
La base pour obtenir la phase souhaitée c'est la température.
Le diagramme de phase, pour nous, céramistes, c'est le B.A.BA.
Il donne le chemin, qui permet d'optimiser la température la plus
basse pour optenir une phase donnée. On ne part pas de la composition
à obtenir pour faire une synthèse, on se " promène
" dans le diagramme de phase. La technique pour faire l'alumine-bêta
riche et l'alumine beta '' (à 1.66) c'est faire un flux à
2000°C avec NaAlO2 qui lui peut être attaqué chimiquement
(par HCl) pour récupérer les cristaux d'alumine-bêta
riche ou d'alumine béta''. C'est donc un savoir de céramiste
qui utilise la synthèse cristalline. C'est grâce à
la formation de l'Ecole de Céramique qui étaient encore
restée une école technique plus que scientifique jusque
dans les années 1950. Je dois être un des derniers à
avoir recueilli l'héritage de millénaires. On avait encore
un vieux professeur C. A. Jouenne qui avait été formé
avant la guerre 14 dans la tradition ancestrale. On apprenait à
" manger les argiles " pour reconnaître le taux de matières
humiques, les teneurs en calcium, sodium, en sable, à goûter
les céramiques pour mesurer les porosités, etc. On apprenait
à reconnaître les fonctions organiques au nez. La céramique,
c'est l'alchimie d'autrefois. Elle se perd.
J'ai quitté la synthèse dans les années 1992-94 quand
je suis revenu de l'ONERA parce qu'il n'y avait plus d'argent. La synthèse
cela coûte cher et il faut deux ou trois ans pour faire un produit.
Et en plus ce n'est pas très valorisé au CNRS. Au CNRS (et
à l'université) les chimistes du solide ne font presque
plus de synthèse, ils ne font plus vraiment leur premier métier.
Ils font le travail des physiciens qui eux repassent après pour
" améliorer " les modélisations des chimistes.
Il est vrai que les composés d'aujourd'hui sont " compliqués
" à faire et à comprendre pour ceux qui n'ont pas une
triple culture générale : de chimie minérale et organique/polymères
et de physique. L'ONERA jusqu'aux années 90 permettait de faire
de la " belle " synthèse de matériaux ayant des
finalités militaires. Ceci à pris fin vers 90-92 avec la
chute puis l'effondrement des crédits -et des motivations, le bottom-up-
de recherche militaire et les bouleversements des structures capitalistiques
et industrielles de l'armement.
BBV : Quand et pourquoi êtes vous allé à l'ONERA
PhC : J'y suis allé en 1989. Il n'y avait plus d'argent à
Polytechnique. La mode avait tourné : les matériaux n'étaient
plus privilégiés, la biologie intéressait davantage.
Moi je voulais faire des vrais matériaux, pas de la chimie en flacon.
J'ai regardé un peu autour de moi. A l'ONERA, ils cherchaient quelqu'un
pour redynamiser les matériaux non-métalliques, l'ancien
responsable étant parti pour la Société Aérospatiale.
L'ONERA fonctionnait bien : ils faisaient de la recherche amont, bien
financée par l'armée et ils allaient assez loin en développement.
Il y avait une grande mobilité car souvent les équipes partaient
dans l'industrie avec leur projet quand il passait en phase industrielle.
J'y ai développé l'usage du sol-gel et des précurseurs
polymériques pour réaliser des composites à matrice
céramiques thermostables (à fibres C et SiC) et aussi les
premiers composites tout-oxide et à gradient de propriétés
pour l'absorption micro-onde (pour rendre les missiles invisibles au radars).
Avec J.C. Badot on étaient les premiers à développer
la spectromètrie d'impédance complexe pour comprendre la
mobilité des ions dans des superconducteurs ioniques en l'occurrence
protoniques. On obtenait des résultats comparables à ceux
que l'on pouvait extraire de la RMN ou de la diffusion neutronique. Ceci
me donnait le savoir-faire et les outils conceptuels pour aider à
lancer à l'ONERA l'étude des matériaux absorbants
les microondes.
BBV : En quoi consistaient vos travaux sur le sol-gel ?
PhC : Le premier article sur le sol-gel " français "
je l'ai écris en 1974 et il est paru en 1975. Quand j'étais
à la Thomson avec Monsieur Hildebrand, un chimiste remarquable
rescapé du camp de Penemund (les V2 de Von Braun !) on m'a fait
travailler sur un projet de lunettes pour pilotes des Mirages de la Force
de frappe nucléaire,. Il s'agissait d'avoir une obturation d'une
fraction de seconde pour éviter l'aveuglement par le flash de la
bombe. Les Américains avaient mis cela au point aux Laboratoires
Sandia (Albuquerque) et le gardaient secret ; mais des renseignements
avaient été " récupérés".
La publication de la première utilisation pensée, voulue,
du sol-gel concerne un mélange de titano-zirconate de plomb et
de lanthane le PLZT (par G.H. Haertling, C.E. Land, G.S. Snow). Les propriétés
ferro-électriques permettent de faire l'obturateur : on applique
un champ électrique entre deux polariseurs, la lumière qui
a été polarisée ne peut pas passer et cela se ferme
en moins d'une milli-seconde. Pour faire cela, il faut une céramique
transparente diélectrique avec des propriétés ferro-électriques
particulières. Il faut un rapport particulier de zirconium et de
titane mélangés intimement avec une homogénéité
à l'échelle quasi-atomique pour que la transparence soit
parfaite afin de ne pas géner la vue du pilote, déjà
soumis aux fortes accélérations (plusieurs g). Sandia ,
un labo quasi-militaire dans le Nouveau-Mexique, a fait le mélange
à partir du liquide (la fabrication a été je crois
reprise par Motorola pour les mémoires optiques). Mais la voie
liquide inorganique ne donnant pas satisfaction ils ont pris des précurseurs
alcolates (alkoxides) qui, en plus, ne coûtaient pas cher à
l'époque. C'étaient des intermédiaires pour préparer
des catalyseurs pour la grande industrie des polymères ou pour
fabriquer certains alcools. On les vendait par bidon d'une quinzaine de
gallons pour le même prix qu'aujourd'hui la bouteille de 75cl (environ
500F) et pour une qualité souvent supérieure.
Bref, à la Thomson on a fabriqué des obturateurs pour une
cinquantaine de pilotes de chasse, puis quand les crédits militaires
ont chuté, la Thomson a abandonné le projet et c'est le
CEA-LETI-Crismatec (je crois Laboratoire d'Etudes des Techniques Electroniques)
qui l'a poursuivi.
BBV : Y-a-t-il eu des applications civiles de ces travaux ?
PhC : Des mémoires optiques, la télévision Vidicon
et des DVD ont été étudiés dans les années
1980 par Thomson-CSF. On stocke presque à l'échelle atomique
du dipôle ferro-électrique. A la Thomson j'avais mis au point
une des techniques de Sandia qui permettait d'obtenir des céramiques
PLZT transparentes sans utiliser le frittage sous charge. Cela diminuait
le coût de fabrication, étape indispensable pour les applications
civiles. Ce type de mémoire reste à l'étude pour
ses hautes capacités et sa permanence dans le temps. L'effacement
est par-contre difficile. Pour ma part, j'ai utilisé le sol-gel
pour faire l'alumine-bêta au potassium, qui frittait mal (Material
Research Bulletin, 15 (1980) 1817-27). Cela permet d'avoir des poudres
ultrafines qu'on peut fritter à plus basse température et
d'obtenir un matériau avec moins de porosité, ce qui est
indispensable pour faire des mesures. J'ai ensuite développer ce
thème sol-gel à Polytechnique, en particulier pour les NASICON,
l'alumine, la mullite, etc On faisait de la mesure de conductivité
à impédance complexe, méthode mise au point par les
électro-chimistes. Lorsque j'ai développé cela chez
Collongues, puis à Polytechnique pour les NASICON, c'était
très nouveau pour les solides. Il faut dire que la conductivité
des superconducteurs ioniques est égale à celle des acides
et donc la transposition était facile.
BBV : Comment décririez-vous la chimie des sol-gel ?
PhC : Le sol-gel existe dans la nature (tout existe dans la nature !),
ma formation de géologue acquise comme hobby d'adolescent m'a beaucoup
servie ); l'argile est un matériau nanomètrique que l'on
met en uvre par sol-gel. Les céramiques traditionnelles sont
des sol-gel, toutes les propriétés de plasticité,
de rhéologie, de réactivité,
en découlent.
Et il y a une abondante littérature que les chimistes ignorent
ou veulent ignorer pour présenter leurs travaux comme des nouveautés.
Il s'agit d'une littérature des années 30 à 50 -
Norton, Jouenne etc. -. Littérature en allemand, en français
mais peu en anglais. Livage a voulu présenter le sol-gel comme
quelque chose de nouveau. Ma position à moi c'est que le sol-gel
est la transposition de la technologie céramique traditionnelle
à de nouvelles compositions par une étape qui est la synthèse
chimique d'objets nanomètriques, comme les particules d'argile,
où comme la proportion d'atomes à ou près de la surface
est dominante développent des propriétés analogues
permettant une mise en uvre sol-gel.
La chimie des sol-gels a démarré à l'époque
où on découvrait que, à partir de précurseurs
organiques, on pouvait faire de la chimie inorganique. A mon avis elle
se situe au confluent de quatre courants :
La céramique traiditonnelle ; Sandia, la laboratoire américain
avec J. Haertling qui a aussi inventé le Rainbow©, (l'usage
de la piézoélectricité marié à un métal
ou un polymère pour faire des actuateurs complexes comme battre
les ailes de drones ou autre) ; Rustum Roy, de Penn State qui a fait de
la chimie des silicates dans les années 50 ; et enfin Joe Mazdiyasni
de USAF-Base et B.E. Yoldas, un Américain qui a travaillé
je crois aussi avec Larry Hench, l'inventeur des applications en biologie
du sol-gel il y plus de vingt ans. Des verriers (comme Dislich et la Société
Schott dans les années 40-50, les japonais S. Sakka et K. Kamiya,
plus tard) avaient brevetés et étudiés l'hydrolyse
de la silice, mais sans sentir de mon point de vue la richesse du procédé.
BBV : Quand et pourquoi êtes vous revenu au CNRS ?
PhC. Pour deux raisons : la première j'aime changer, travaillant
avec une petite équipe j'essaye de prendre les sujets " en
avance " et de glisser vers d'autres quand ils deviennent "
à la mode " et que les gros labo monolithique se mettent dessus.
La seconde, en 1990 l'ONERA comptait plus de 2200 personnes, aujourd'hui
cela doit être 1600. Les crédits - et donc les perspectives
- commençaient à chuter : plus de grands projets où
l'on peut partir de l'amont pour identifier des verrous " conceptuels
" ou de synthèse, les résoudre et ensuite aider au
développement. Je suis revenu au laboratoire où 15 ans plutôt
j'avais appris la spectroscopie de vibration pour y développer
la spectroscopie Raman des matériaux et nanophases, l'Imagerie
Raman de systèmes en fonctinnement. Entre 1992 et 1996 j'avais
deux employeurs, le CNRS et un temps partiel à l'ONERA où
je menais encore des programmes de synthèse. Maintenant je reste
conseiller à l'ONERA et cela se limite à des prestations
intellectuelles, à contribuer à l'encadrement de thèses,
à identifier les informations, les sujets utiles pour mes collègues
de l'ONERA dans les congrès où je vais ou les visites.
BBV : Etiez vous libre de publier quand vous étiez à la
Thomson et à l'ONERA ?
PhC : Savoir quel est le degré de publicité à donner
à des informations, c'est un art qu'on apprend sur le tas. On apprend
à gérer les échanges, à juger d'une situation,
à discuter avec des brouillons, etc. C'est très important
car c'est une garantie de réussite.
Il faut vraiment encourager la mobilité entre industrie, centre
de recherche et de développement et laboratoire académique.
On connaît les gens, on connaît la configuration, on sait
alors cheminer de concert pour un objectif précis, bénéfique
de part et d 'autre.
BBV : Et les brevets ?
PhC : Ce sont les industriels qui les prennent. Il faut qu'il y ait de
la technologie pour qu'un brevet soit efficace. Plus un brevet est généraliste
plus il est facile de le détourner. Ce sont les derniers brevets
d'une filière, liés au produit commercialisé qui
" rapportent ", les premiers servent à " tenir la
filière ". Et de toute façon un brevet a la vie courte,
20 ans dans le domaine de matériaux c'est très court.
BBV : Avez vous des liens privilégiés avec des étrangers
? En particulier fréquentez -vous les meetings de la MRS ?
PhC : J'ai participé assidûment et avec plaisir au meeting
annuel de Boston pendant les années 85-95. Maintenant pour des
raisons familiales la date ne tombe pas très bien. Je vais assez
souvent à l'E-MRS de Strasbourg en juin et régulièrement
aux meetings de l'American Ceramic Society, le principal vers le 1er mai,
car il y a beaucoup d'échanges et celui de Cocoa Beach en janvier,
même s'il y a des sessions fermées, " secrètes
", on apprend énormément. Les e-mail permettent de
travailler ensemble au quatre coins du monde.
BBV : Avez vous noté des différences de style de recherche
entre les divers pays ?
PhC : Certes oui. En particulier le contraste entre la France et l'Allemagne
est saisissant quand il s'agit de monter des projets communs. En Allemagne,
seul le chef d'un territoire bien défini peut prendre des décisions
mais il est compétent. En France, c'est plus souple mais les compétences
ne suivent pas forcément. Les coopérations avec les Asiatiques
(Indiens, Vietnamiens, Japonais) doivent se faire grade à grade,
en respectant la hiérarchie et on doit prendre son temps. Il faut
savoir être lent. Avec les Américains, c'est tout le contraire
; il faut être rapide, même si c'est une mauvaise solution.
En Amérique, le temps est une donnée de la recherche, mais
pas en France.
BBV : Et la différence est-elle aussi importante dans les relations
avec l'industrie ?
PhC : En France, l'industrie est maintenant à la marge. Quand l'Etat
était un partenaire industriel il prenait en charge la recherche
sur le long terme. Il y a eu des années fastes de 79 à 83
(cela a commencé avant l'arrivée de Chevènement),
où l'Etat et l'armée ont fait de gros investissements :
c'est l'époque des lancements du Rafale, du porte-avion, des missiles
de croisière avec les problèmes de furtivité, d'Ariane,
d'Hermès, etc. Mais après le départ de Chevènement,
cela a été le commencement de la fin. Maintenant le militaire
ne finance plus de recherches sur le long terme : on se pose les questions
quand le problème survient sur le prototype. On fait du bottom-up
et on dédaigne le top-down. Toute la charge de la recherche à
long terme retombe sur le CNRS voire l'université. Et les universitaires
français (hors écoles d'ingénieurs) ne veulent pas
faire de technologie ou n'y connaissent rien. Alors qu'aux Etats Unis
et surtout au Japon, ils ont un pied dans l'industrie, un pied dans l'université
et la symbiose est possible.
BBV : Que pensez-vous des initiatives du CNRS pour encourager les liens
entre recherche académique et industries ?
PhC : Elles viennent plus de la direction que des commissions. Les détachements
sont une formule prometteuse : on touche 15% de salaire en plus pour un
détachement dans l'industrie et 30% dans le militaire. Mais la
difficulté c'est le retour. Les commissions trouvent bizarre que
l'on revienne ; on se retrouve sans salaire pendant 4 mois ! Enfin, maintenant
le plus souvent les représentants industriels dans les commissions
ne sont pas ceux qui sont dans une position de pouvoir dans leur propre
milieu. Ce n'était pas le cas il y a 30 ans.
This page was last updated on 27 February
2003 by Arne Hessenbruch
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